Vers une vulgate data-visuelle ? Le cas d’Highcharts

Le développement d’outils informatiques simplifiés et mieux adaptés aux besoins spécifiques de la médiation journalistique a joué un rôle crucial dans l’avènement et la légitimation du datajournalisme. Depuis une dizaine d’années, il est possible de gérer des grands jeux de données ou de créer des applications en ligne inventives sans être un programmeur confirmé. Des applications comme Google Fusion Tables ou des langages intuitifs comme JQuery entraînent une certaine démocratisation des compétences. Ces nouveaux supports rendent possible l’avènement de profils ambidextres, situés à mi-chemin entre l’univers professionnel du journalisme et celui de l’informatique. Dans une section du Data Journalism Handbook, Chase Davis évoque l’implication croissante des reporters dans le travail de programmation « ce qui libère les développeurs pour des projets plus difficiles ».

Nom
Création
Type de logiciel
Éditeur
Type de visualisation
Utilisation
VIDI?Application webJefferson InstituteGraphiques
Many Eyes2007Application webIBMGraphiques
Infovis2008Bibliothèque javascriptCommunauté open sourceGraphiques animés
Gephi2008Application bureauCommunauté open sourceRéseaux sociaux
R1993Code spécifiqueCommunauté open sourceGraphiques
Highcharts2009Application WebHighcharts solution ASGraphiques animésOWNI
Google Maps2004Application WebGoogleCartographieOWNI, AFP, Rue89…
Kartograph2011Framework Python et JavascriptGregor AischCartographieJournalism++

Une telle démocratisation a cependant son revers. En proposant du prêt-à-publier, les outils « intermédiaires » suscitent de puissants effets de rection.

Highcharts constitue un bon exemple de cette tendance à l’uniformisation. Il s’agit d’une « bibliothèque » javascript. La métaphore de la bibliothèque est ici à prendre au sens propre. Highcharts propose un jeu de fonctions prédéfinies, qui fonctionnent un peu comme des « livres » : ils forment une totalité achevée à laquelle il suffit de faire référence pour en convoquer le savoir. En témoigne cette élégante présentation interactive, dite bubble :

Elle est générée avec un code très bref :

code Highcharts

Aucune indication supplémentaire n’est nécessaire. C’est que l’essentiel se passe ailleurs : dans des fichiers pré-remplis, beaucoup plus bavards. En voici une illustration évocatrice. Il s’agit d’un extrait du fichier Highcharts.js qui gère les interactions fondamentales de toutes les visualisations Highcharts :

Code Highcharts Java

En somme le data-journaliste qui manipule la visualisation n’a pas grand chose à faire : il insère ses données, fait appel à la mise en forme de la bibliothèque highcharts et le tour est joué… Inversement, la marge laissée à la personnalisation est assez étroite. Il est possible de modifier en profondeur la bibliothèque, mais comprendre de quoi il en ressort demande un investissement temporel déraisonnable. Il est plus confortable de laisser les choses telles qu’elles sont.

Cette incitation à la facilité entraîne une uniformisation sémiotique assez peu surprenante. Les mises en forme de Highcharts se retrouvent telles quelles dans plusieurs articles de datajournalisme. En témoigne le camembert-type :

On le retrouve quasiment inchangé dans une application d’OWNI sur le chômage des jeunes (aujourd’hui disparue : l’archive hébergée sur Wayback Machine en donne une très vague idée…).

Utilisation du camembert Highcharts dans le cadre d'un sondage sur le chômage des jeunes.

Utilisation du camembert Highcharts dans le cadre d’un sondage sur le chômage des jeunes.

Le même phénomène se répète pour Gazette.fr. Cela concerne cette fois le graphique standard :

Il se retrouve, identique, dans une modélisation des salaires dans la fonction publique :

HC Gazette

Les modélisations d’Highcharts sont également utilisées de manière plus furtive. Le Monde.fr propose une sorte de collage datavisuel en accolant un camembert sophistiqué élaboré avec Jit (au centre) et un petit camembert plus basique d’Highcharts (en haut à gauche).

Les 500 membres de la galaxie Ayrault-Hollande (Le Monde.fr)

Il est intéressant de noter que les codes pré-remplis ne diffèrent pas tant que cela des outils classiques de bureautique. Sur le papier, ils autorisent des manipulation très poussées, qu’on ne pourrait jamais réaliser sur Excel. Cependant, l’impératif d’une facilité d’usage et les contraintes médiatiques d’une conception accélérée encouragent clairement le copier-coller. La maîtrise du code ne constitue pas à elle seule une garantie d’originalité et d’indépendance.

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