La première séance du séminaire jourdain dressait un premier panorama des modalités d’existence sociale – et médiatique en particulier – de l’objet « journalisme de données ». Elle rassemblait l’ensemble des participants au projet qui exposaient chacun, à tour de rôle, un angle d’étude spécifique autour de cet objet multiforme.
Introduction : la mise en scène de l’innovation
Adeline Wrona a d’abord rappelé les questionnements ayant conduit à l’organisation du séminaire et a proposé des pistes de problématisation afin d’aborder dans un même regard bien que sous des angles différents l’objet de recherche.
Il s’agit de voir comment étudier la question des données permet de reposer celle de l’identité journalistique : en quoi l’émergence du « journalisme de données » peut-elle apparaître comme une nouvelle manifestation de la nature profondément évolutive du journalisme, pensé comme « phénomène socio-discursif en formation permanente » ?
Dans cette optique, quatre pistes de réflexion ont été suggérées :
- Le rapport entre journalisme et technique : le journalisme de « données » comme nouvelle manifestation/occasion de prises de position sur la place de la technique dans l’activité journalistique (effroi ou éblouissement).
- La mise en discours de l’innovation : comment se traduit-elle, aussi, par un renouvellement des structures des entreprises de presse? Comment reformule-t-elle la tension pro/amateurs?
- Le lien entre journalisme et esthétique : dans quelle mesure le journalisme de « données » est-il l’occasion de création de nouveaux standards et de nouvelles routines visuels ?
- L’enjeu démocratique : quelle représentation du rôle des journalistes en démocratie derrière la promotion des « données » et, avec elles, d’un idéal de « transparence » ? Comment s’exprime, à travers un imaginaire du journalisme, une réflexion sur la représentation politique?
Cartographier les acteurs
Valérie Jeanne-Perrier a présenté les résultats d’une première investigation large des sources du discours et des acteurs en France.
Une piste émerge particulièrement : suivre la circulation de l’expression « journalisme de données » dans différents espaces professionnels permet d’en saisir l’aspect mobilisateur servant à exprimer ce que le journalisme n’est plus et ce qu’il devrait être.
Qui s’en empare ?
- des acteurs institutionnels (Etalab, les écoles de journalisme etc.) qui mobilisent le mot « journalisme » comme « référence active ».
- des entreprises qui ont à voir avec la production de contenu « data », de visualisations notamment : Data Publica. Le journalisme de « données » y est un « argument de positionnement ».
- les journalistes autour de quatre « comportements » : formateurs, évangélisateurs, critiques/sceptiques, pragmatiques.
- les universitaires ou la proposition d’une réflexivité : comment donnent-ils par leurs interrogations propres une légitimité et une visibilité à l’objet?
Un manuel à visée performative : le Data Journalism Handbook
Pierre-Carl Langlais et Guillaume Heuguet ont proposé une intervention sur la « vulgate du datajournalisme » et sur les formes éditoriales mobilisées pour la diffuser. Ils mettent en avant la visée performative des textes ayant recours à l’expression qu’ils considèrent comme « formule » : manifestes, manuels, dont le Datajournalism Handbook qui fait référence en la matière.
Dans ces textes, deux idées fortes tendent à fonder l’objet en « rupture » :
- la « donnée » comme outil et non plus illustration de l’information (avec une valorisation de la forme graphique ou tabulaire) un contexte technologique en mutation nécessiterait un changement en profondeur des pratiques journalistiques – le journalisme de « données » comme remède possible à la crise énoncée.
- l’annonce d’un double mouvement de « démédiation » (//transparence) et de « remédiation » avec une « nouvelle couche » de journalisme nécessaire pour donner à lire les « données ».
Former au datajournalisme
Hervé Demailly s’est penché sur la manière dont les acteurs de la formation au journalisme en France s’approprient, ou non, la thématique.
Quatre écoles parmi les treize reconnues par la professions affichent sur leurs plaquettes l’intitulé « journalisme de données » au menu des enseignements proposés. Il s’agit principalement de formations courtes (quelques jours) inscrites dans le cadre de formations dites continues.
D’autres structures s’y intéressent cependant (écoles et instituts privés, clubs de la presse…)et des personnalités singulières et des entreprises de presse, dans leurs productions, affichent également un objectif pédagogique (Alain Joannès revient en particulier).
Datajournalismes germaniques et helléniques en regard
Juliette Charbonneaux a effectué une première exploration des modalités d’appropriation de l’objet en terrain médiatique allemand. La première interrogation « qui se revendique du « Datajournalismus » ? » fait émerger un acteur récurrent, Lorenz Matzat, et une agence « Opendata-city » productrice de contenu « data » à destination, notamment, d’entreprises de presse (die Zeit, SZ, TAZ…).
Plus largement, cinq tendances semblent s’affirmer :
- l’expression d’un potentiel démocratique lié à un idéal de transparence et de « don » à la communauté (rappelle les idéaux du journalisme d’investigation)
- un tropisme cartographique donnant à lire l’ensemble ou des pans du territoire national
- l’idée d’un journalisme « à partager » avec la communauté, nationale toujours, des lecteurs
- un journalisme à enseigner aussi : les productions sont des occasions de « discours de la méthode »
- la référence quasi-systématique à des modèles américains (A. Holovaty en premier lieu) et britanniques (The Guardian)
Pergia Gkouskou-Giannakou procède à une analyse similaire sur le terrain grec. Elle a fait remonter de cette première exploration la référence récurrente au journalisme d’investigation à travers la question des sources, soit pour proposer de l’améliorer, de l’ « augmenter », soit pour s’en écarter.
Cette double intervention constitue la première formulation d’une contribution présentée dans le cadre du colloque Mejor, Le journalisme de « données », une pratique d’investigation ? Cas allemand et grec en regard.